(Agence Ecofin) - La société telecoms sud-africaine MTN a cédé fin décembre 2024 à l’Etat guinéen, sa participation de 75% dans l’opérateur de téléphonie mobile Areeba Guinée, opérant jusqu’alors sous la marque MTN Guinée. C’est le dernier fait en date d’une politique d’optimisation et de simplification de portefeuille engagée depuis quelques années, dans le cadre d’une stratégie visant à devenir le principal fournisseur de services numériques en Afrique.
Un réaménagement du portefeuille avec la cession d’actifs
Avant l’accord avec le gouvernement guinéen, MTN révélait en mai 2023 étudier une offre d’Axian Telecom pour la reprise de ses filiales en Guinée, en Guinée-Bissau et au Liberia. « Comme nous n'en sommes qu'au début des discussions, nous insistons sur le fait que tout processus de cette nature impliquera des engagements étendus avec des parties prenantes qui seront informées de manière appropriée dès que l’évaluation aura progressé de manière significative » lit-on dans ses résultats pour le 1er trimestre 2023.
Les négociations n’ont pas abouti puisque la société a dévoilé en mars 2024 un autre accord avec Telecel Group pour céder ses filiales guinéenne et bissau-guinéenne. Elle a ainsi finalisé la vente de sa participation dans l’opérateur de téléphonie mobile Spacetel Guinée-Bissau S.A. (MTN Guinée-Bissau) en août 2024, après avoir obtenu les autorisations réglementaires. Avec 830 000 abonnés au 1er trimestre de cette année-là, elle était notamment en concurrence avec Orange qui revendiquait environ 1,5 million d’abonnés pour une part de marché de 66,7% à la même date.
« Nous sommes ravis de confier les rênes de MTN Guinée Bissau à Telecel Group, une entreprise qui a fait ses preuves. […] Nous remercions nos employés, nos clients et toutes les parties prenantes pour leur soutien au fil des ans, et nous sommes convaincus que Telecel s'appuiera sur les bases solides que nous avons établies en Guinée-Bissau » déclarait alors Ralph Mupita, PDG du groupe MTN.
Ralph Mupita, PDG du groupe MTN
Le gouvernement guinéen n’avait quant à lui pas donné sa bénédiction pour la transaction. L’exécutif a préféré reprendre la participation de MTN Group, devenant ainsi l’actionnaire majoritaire d’Areeba Guinée avec une participation de 87,7%. L’entreprise sud-africaine est ainsi sortie d’un marché où elle a vu sa part de marché chuter de 36% en décembre 2013 à seulement 20,7% en juin 2024, tandis qu’Orange est passé de 43% à 74,7% sur la même période.
« La conclusion de cette transaction est conforme à la stratégie de simplification du portefeuille et d'allocation des capitaux aux marchés où nous pouvons faire la différence et assurer une croissance ainsi que des rendements à long terme » a déclaré Ralph Mupita.
Au-delà de l’Afrique, MTN a finalisé en février 2024 sa sortie du Moyen-Orient avec la vente de sa filiale en Afghanistan à Investcom AF, filiale de la société libanaise M1 New Ventures (M1) avec laquelle il avait signé un accord à 35 millions USD en novembre 2022. De fait, les discussions avec de potentiels acheteurs avaient été entamées quelques jours seulement après la prise du pouvoir par les talibans et le retrait des forces américaines du pays.
En Syrie, MTN a carrément abandonné ses activités, notamment en raison des difficultés rencontrées sur ce marché en proie à un conflit armé depuis 2011. Il avait également des problèmes avec les autorités, ayant conduit à sa mise sous curatelle.
« Le groupe a commencé à quitter la Syrie en abandonnant les opérations, étant donné les actions et exigences réglementaires qui rendent l'exploitation sur le marché intenable. Nous nous réservons le droit de demander réparation par le biais de procédures juridiques internationales, étant donné que les actions des autorités syriennes ne nous ont pas laissé d'autre choix que de nous retirer » lit-on dans les résultats financiers pour le 1er semestre 2021.
L’entreprise a aussi quitté le Yémen en novembre 2021. Ces départs du Moyen-Orient illustrent sa volonté de se concentrer sur ses activités principales en Afrique et de réduire son exposition aux marchés plus risqués. Elle a toutefois décidé de rester en Iran où elle conserve sa participation minoritaire de 49% dans Irancell.
Priorité à l'Afrique : infrastructures, connectivité et services numériques
MTN veut ainsi devenir le principal fournisseur de solutions en Afrique dans un contexte de transformation numérique qui s’accélère. Le groupe estime que réaliser cette ambition reposera sur une infrastructure et une activité de connectivité à grande échelle, utilisant des réseaux d'accès mobiles et fixes sur les segments des consommateurs, des entreprises et des grossistes.
« Il y a 3 éléments dans notre travail pour accélérer la transformation du portefeuille. Le 1er consiste à exécuter le plan ARP [Asset Realisation Programme, Ndlr] et à désendetter le bilan. Le 2e est de poursuivre le retrait du Moyen-Orient de manière ordonnée, ce qui nous permet de simplifier l'activité. Le 3e est de révéler la valeur des actifs dans la fintech et les infrastructures de fibre optique » apprend-on dans sa stratégie « Ambition 2025 ».
Dans ce contexte, il doit investir dans l’expansion et la modernisation de son réseau, ainsi que dans le déploiement de technologies comme la 5G et la fibre optique. C’est dans ce cadre que la société s’est engagée en décembre 2024 à investir 300 millions USD sur 3 ans dans ses activités au Cameroun. Un engagement similaire a été pris en Côte d’Ivoire. En juillet 2023, elle s’était engagée à injecter 3,5 milliards USD sur 5 ans au Nigeria, tandis qu’en février 2022, elle avait promis un investissement de 1 milliard USD au Ghana sur la même période. L’entreprise s’est fixé pour objectif de construire 135 000 km de fibre optique propriétaire à travers l’Afrique d’ici 2025. En décembre 2023, ce réseau s’étendait déjà sur 114 000 km.
MTN Group cherche également se diversifier dans le numérique, en autonomisant sa filiale d’infrastructure dédiée Bayobab pour la séparer de son activité principale. Cette démarche vise à positionner Bayobab comme une plateforme d’infrastructure numérique de classe mondiale à accès ouvert, destinée non seulement à MTN, mais également à d’autres acteurs tiers. La société investit également dans des centres de donnés. Elle a annoncé en juin 2024 qu’elle construit un centre Tier 4 neutre vis-à-vis des opérateurs à Lagos.
« Notre installation fournira l'espace et les services permettant aux entreprises de numériser leurs opérations et d'améliorer leur efficacité. Le centre de données améliorera également la fourniture de contenu par les grandes entreprises technologiques telles que Meta et Google, en rapprochant le contenu des utilisateurs nigérians et en améliorant les vitesses d'accès » avait déclaré Mohammed Rufai, directeur technique de MTN Nigeria.
Une concurrence croissante sur le continent
Après sa sortie de Guinée et de Guinée-Bissau, MTN reste présent une quinzaine de pays africains en plus de l’Iran. Il s’agit du Ghana, du Bénin, de l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire, de la République du Congo, du Nigeria, du Rwanda, de l’Ouganda, de la Zambie, du Botswana, du Soudan, du Soudan du Sud, du Liberia, du Cameroun et d’Eswatini. L’entreprise compte environ 230 millions d’abonnés sur l’ensemble de ses marchés, et son portefeuille intègre également des activités Business, d’infrastructures numériques et de Fintech.
Elle doit néanmoins faire face à une concurrence croissante sur le marché télécoms africain. Airtel Africa, filiale du groupe indien Bharti Airtel, compte 163,1 millions d’abonnés dans 14 pays dont l’Ouganda et le Congo. Vodacom en compte 205 millions sur 8 marchés, incluant l’Afrique du Sud. Orange totalise environ 160 millions d’abonnés dans 15 pays, dont le Liberia, la Côte d’Ivoire et le Botswana. Maroc Telecom (Moov Africa) compte 78,4 millions d’abonnés dans 11 pays, dont le Bénin et la Côte d’Ivoire.
Certains de ces concurrents veulent également diversifier leurs activités et sources de revenus en s’étendant au-delà des services télécoms traditionnels. Airtel Africa a par exemple lancé en février 2024 Airtel Ads, une plateforme de publicité en ligne, et Telesonic, sa filiale spécialisée dans la fourniture de bande passante en fibre optique. En décembre 2023, la société a aussi lancé une filiale de centre de données dénommée Nxtra.
Isaac K. Kassouwi
Edité par : Feriol Bewa