REPORTAGE - Plus de 1000 salariés du secteur auraient participé aux rassemblements organisés en France à l’appel du Syndicat des travailleurs du jeu vidéo. Ils réclament une meilleure organisation des lignes de production et davantage d’écoute.
«La Colonne de Juillet est toujours belle, elle est encore plus belle aujourd’hui entourée des travailleurs du jeu vidéo ! » Perché sur un banc public, Vincent Cambedouzou, délégué syndical au sein du studio Ubisoft Paris, enchaîne les phrases qui font mouche.
Pour la première fois ce jeudi 13 février, le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV) a appelé l’ensemble des salariés du secteur à une grève générale. D’autres organisations syndicales, comme Solidaires Informatique, ont rejoint ce mouvement. Selon les organisateurs, plus d’un millier de personnes ont participé aux rassemblements dans une dizaine de villes françaises, dont près de 550 sur la place de la Bastille, à Paris. Une importante mobilisation pour une industrie qui emploie 15.000 personnes en France selon le Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV), et qui est longtemps restée peu revendicative.
«C’est le chaos dans les lignes de production»
À l’origine de la colère des grévistes, un «problème structurel» selon Vincent Cambedouzou : «On a l’impression que nos employeurs ne comprennent pas grand-chose à comment faire un jeu vidéo. On nous donne des plannings absurdes et intenables, où on se retrouve à devoir faire l’étape 2 avant l’étape 1. C’est le chaos dans les lignes de production.»
Entre les drapeaux colorés du STJV, beaucoup dénoncent aussi le «paternalisme entrepreneurial» de leur hiérarchie. Manon, ex-salariée chez Quantic Dream, le regard surligné par un eye-liner pailleté, explique : «On a beau alerter, en disant qu’une tâche n’est pas faisable, ou proposer des idées pour améliorer les jeux, on a l’impression de ne pas être écouté malgré notre expertise.»
Arthur, long manteau rouge vif et béret en cuir, abonde : « Lorsque je travaillais sur Orbital Dance [NDLR: jeu vidéo de sensibilisation sur la pollution spatiale], je n’ai pas arrêté de répéter que le jeu était trop compliqué et que le but du jeu n’était pas clair, mais rien n’a été fait. Résultat : 90% des joueurs quittent le jeu avant d’avoir terminé le tutoriel.»
«On n’est pas des machines à produire ce qu’ils ont dans la tête !», lance un représentant syndical du haut de son estrade improvisée. Selon Vincent Cambedouzou, les travailleurs partagent ce sentiment de perdre le «supplément d’âme de la création».
Nombre de manifestants attribuent les récents échecs commerciaux de plusieurs studios français à un manque de prise de risque technique et artistique. Et ils ne souhaitent pas devoir payer pour les erreurs stratégiques de leurs directions. Car face à cette mauvaise passe financière, les plans d’économies se multiplient. En décembre dernier, le studio parisien Don’t Nod a annoncé le licenciement de près d’un tiers de ses employés, provoquant un mouvement de grève au sein de l’entreprise. Le géant français Ubisoft réalise, lui, un plan mondial de réductions des coûts fixes, qui se traduit en France par le non-remplacement des salariés démissionnaires. Ailleurs dans le monde, il a conduit à des fermetures de studios et à des licenciements.
61% des travailleurs ont moins de cinq ans d’expérience
L’organisation patronale SNJV rappelle dans un communiqué la conjoncture économique internationale : «Au niveau mondial, l’industrie du jeu vidéo fait face, depuis de nombreux mois, à un contexte économique difficile, et l’industrie française n’est pas épargnée. Les entrepreneurs du jeu vidéo font face à des réalités économiques particulièrement complexes : allongement des délais de signature, difficultés de financement des entreprises, forte concurrence internationale.» Et d’ajouter que «la priorité des entrepreneurs reste le maintien des emplois.»
En raison des conditions de travail difficiles, et d’une rémunération jugée insatisfaisante, le jeu vidéo peine à garder ses talents sur le long terme. D’après une étude du STJV, 61% des salariés du secteur ont moins de 5 ans d’expérience, et 85% d’entre eux ont moins de 10 ans d’ancienneté. Et ce alors que l’industrie du jeu vidéo française existe depuis les années 1980.
Les tensions au sein des studios français du jeu vidéo semblent monter. Selon nos informations, le STJV a ainsi vu son nombre d’adhérents fortement augmenter ses derniers mois, atteignant le millier d’adhérents.